Combien
de " sales " féministes faut-il pour changer une ampoule ? Antiféminisme
et art contemporain.
Par Laura
Cottingham, Postface de Christine Bard, Sixty Percent Solution, New York,
1994, trad. franç., éditions Tahin Party, Lyon, 2000. 79
pp.
A l’origine, publication new-yorkaise
de Sixty Percent Solution, maison d’édition militant pour
" l’universalisation du féminisme lesbien ", l'article de la critique
et historienne de l’art Laura Cottingham polémique sur la mode "
bad girl art " sévissant dans les milieux autorisés de l’art
contemporain anglo-saxon. La postface de Christine Bard intitulée
" Mécaniques antiféministes ", remplaçant la postface
originale de Cecilia Dougherty (" Pathetic ") dans la traduction française,
conclut par quelques généralités sur un état
des lieux de l'antiféminisme en France. Si le sous-titre de l’ouvrage
Antiféminisme
et art contemporain, exprime une réalité, la lectrice
ou le lecteur restent un peu sur leur faim. Ni Laura Cottingham, ni Chritine
Bard évoquent vraiment le problème. Ici l’antiféminisme
est évoqué de manière large, l’art contemporain n’est
guère présenté, tout simplement parce qu'il semble
que Laura Cottingham confonde art contemporain – milieux d'artistes et
de plasticiens – et entreprises muséales, espaces des "professionnels"
de la culture.

Laura Cottingham remet en question
le rôle indélicat des professionnelles de la culture (conservatrices,
commissaires d'exposition), mais jamais le lieu même du " crime ".
A mon sens, croire en la neutralité de l'institution muséale
est un danger. Ne faut-il pas rappeler qu'un musée, une galerie
sont avant tout des lieux à caractère commercial et capitaliste
? Croire que le discours muséologique se suffit à lui-même,
c’est ignorer toutes les difficultés et les enjeux souvent financiers,
diplomatiques que les conservatrices et conservateurs rencontrent à
chaque démarrage de projet : par exemple, comment concilier tourisme,
publics, avant-gardes artistiques pour décrocher subventions publiques
et privées, sans lesquelles, le projet resterait dans un fond de
tiroir ? Ne faut-il pas non plus rappeler qu'en l'occurrence, les musées
anglo-saxons, alimentés par des fonds privés (trustees),
sont dans une logique de profit et que l’œuvre exposée n’est pas
inaliénable et peut donc être achetée (à l’instar
des galeries d’art) ?
Croire en les capacités révolutionnaires
d’une institution culturelle, patrimoniale ou muséale est donc déplacé.
Au pire, c’est accepter un discours réformiste et conciliant, considérer
que le lieu muséal soit neutre et donc propice à l'expôt
de performances artistiques radicales et révolutionnaires. Si le
choix des conservatrices peut être critiqué (humour, présentation
en compagnie d'artistes de sexe masculin) pour son inaptitude à
révolutionner les préjugés de la société
anglo-saxonne, il demeure pas moins réformiste dans le sens où
leur objectif est, au contraire, décloisonner l’art dit " bad girl
", pour en faire un objet consommable par différents publics. Je
regrette, d'ailleurs, que la publication présente ne propose pas
un plan des expositions (pour analyser la gestion des espaces, les coupures
scénographiques, etc), et les textes de présentation des
musées incriminés. Cela aurait permis de mieux situer l’enjeu.
Finalement la polémique de
L. Cottingham tourne sur la mise en expôt de travaux d'artistes et
de plasticiennes que vraiment sur le fond du problème, c'est-à-dire
l'antiféminisme, l'antilesbianisme et l'art contemporain. L’auteure
aurait préféré, à juste titre, une histoire
du mouvement artistique féministe présentée avec sincérité
et honnêteté. Or, les conservatrices n'ont pas écouté
son avis et ont conçu l'expographie sur le thème de l'humour
et de la dérision. Cette appropriation est pour elle une trahison
sans retour. Sa critique insiste sur l’utilisation abusive des œuvres militantes
par les conservatrices et des commissaires des expositions. Ce débat
est récurrent dans l'histoire de la muséologie, bien au-delà
du féminisme et pose toujours un choix difficile : faut-il que l’exposition
soit réalisée en collaboration avec les artistes ou bien
doit-elle être le choix de des conservatrices, des conservateur ou
des commissaires ? Effectivement, comme L. Cottingham et les artistes invitées,
je déplore l'usage que le New Museum a fait du Mouvement artistique
féministe, mais comment ignorer que ce thème racoleur de
" bad girl " a été une réussite médiatique
exceptionnelle et s'est accompagnée, pour les musées états-uniens,
d'une fréquentation exceptionnelle par des publics variés
et de l'extension du phénomène " bad girl " au Royaume-Uni
? Les logiques ne sont pas les mêmes. D'un côté, l'autosatisfaction
circonscrit les œuvres dans une petit cercle d'initiées, militantes
et révolutionnaires ; de l'autre, la diffusion culturelle parie
sur un message large, ayant donc perdu du sens, pour une vulgarisation
maximale.
Enfin, je demeure un peu critique
face à quelques écarts " âgistes " et sexistes de L.
Cottingham. Considérer qu’une femme de moins de quarante ans ne
peut pas comprendre le féminisme des années 60-70 me laisse
rêveuse sur le relativisme et le recul souvent indispensables en
sciences humaines tout autant qu'en matière politique. Fustiger
contre l'appropriation de conservatrices hétérosexuelles
d'œuvres féministes me paraît déplacé : je ne
vois pas en quoi il faudrait être lesbienne pour avoir le droit insigne
de présenter l'art lesbien et je ne vois pas en quoi être
hétéro ou bi est une tare pour être féministe
?
Quant au texte de Christine Bard,
il ne nous éclaire pas plus sur le rapport entre l'antiféminisme
et l'art contemporain et demeure une simple présentation des actuels
champs d’études universitaires, notamment les gender studies,
qui s’affirment depuis quelques années en France. Finalement, ces
deux textes apparaissent comme deux ébauches de deux livres à
venir ; l’un sur le Mouvement artistique féministe et l’autre sur
l’antiféminisme dans les milieux des artistes contemporains en France
et ailleurs. Bref, du taf pour les éditions Tahin Party !
Syb (15/10/00)
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